«Pando» - Jeffrey Poirier en collaboration avec la chercheure Annie DesRochers (UQAT)
En septembre 2021, je me rendais au cœur de l’Utah, dans le parc national de la Fishlake National Forest, afin de photographier un sujet naturel unique au monde. Pando, du latin « je m’étends », tel qu’il fut baptisé par son découvreur Burton V. Barnes, est considéré par beaucoup de scientifiques comme étant le plus grand et le plus vieil organisme vivant du monde. Il s’agit d’une colonie de peupliers faux-trembles (Populus tremuloides) dont les 43 hectares de surface se composent de 47 000 arbres reliés à un seul et même système racinaire qui se régénérerait depuis la dernière glaciation (15 000 ans). Cet organisme m’apparaît comme un paradoxe fascinant, découlant de la perception que l’on peut éprouver de ce dernier. Vaste forêt de peupliers identiques en apparence, il est toutefois considéré par la science comme un seul et même arbre ou individu végétal. Il déploie sous terre, au-delà des limites du visible, un système racinaire fragile et monumental qui constitue l’essence même de sa constitution, de sa masse et du secret de sa longévité. Si le regard impose d’emblée une vision d’ensemble analogue à celle de la forêt constituée de multiples individus végétaux, la réalité de cet organisme unique déjoue nos habitudes de regard sur notre environnement car celui-ci représente à lui seul le dit paysage. 
Selon des études de l’Utah State University, la croissance de Pando serait totalement arrêtée depuis 40 ans. La principale cause de la mort progressive de l’organisme réside en la présence dans la région d’une surabondance d’herbivores qui s’alimentent des jeunes pousses de la colonie. Au début des années 1900, les grands prédateurs carnivores responsables de la régulation naturelle des populations d’herbivores ont été chassés agressivement et la région est désormais fréquentée par une population grandissante d’espèces tels que le cerf. Parmi les autres causes connues des scientifiques, les changements climatiques et les feux de forêts constitueraient un frein à la régénération du clone. La figure de cet être né en des temps immémoriaux m’apparait alors tel un exemple de fragile équilibre, dont la régénération dépend de conditions idéales actuellement bousculées. À mon sens, nous avons ici une mise en relief des tensions déjà connues d’une cohabitation précaire entre nos modes de vie individuels et collectifs et une nature désormais déséquilibrée.
Le projet souhaite mettre en lumière le caractère social de Pando qui constitue, à l’image d’une société, la multitude dans l’unité, un vaste système d’interconnections essentielles et souvent non-visibles. L’exposition tente ainsi implicitement d’offrir des parallèles entre la figure rhizomatique de Pando et l’équilibre précaire de nos écosystèmes sociaux. Les photographies présentent cet environnement selon ses traits contemporains (biodiversité, présence humaine, signes de décroissance, projet de régénération gouvernemental). Ces images intimistes de Pando, donnent ainsi à voir cet organisme naturel et l’environnement qui l’a façonné et qu’il a façonné au fil des millénaires, dans un microclimat unique en Utah. Finalement, afin d’évoquer le futur incertain de ce système dont l’équilibre est actuellement ébranlé, le projet propose également des images de reliques de colonies de peupliers faux-trembles avoisinantes déjà éteintes. 
Dans le cadre de la deuxième présentation du projet Pando, Jeffrey Poirier collabore avec Annie DesRochers, chercheuse à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Spécialiste (entre autres) de la biologie des arbres et des liens racinaires, Mme DesRochers étudie depuis plus de vingt ans des peuplements de peupliers faux-trembles afin de percevoir les liens racinaires qui existent au sein des populations d’arbres. Pour cette collaboration inédite, Annie DesRochers a transmis à Jeffrey Poirier des croquis réalisés lors d’excavations de racines, pendant le développement de projets de recherche sur le terrain. Agrandis par l’artiste tel des fresques qui en montrent tous les détails, ces croquis donnent à voir un point de vue souterrain privilégié sur les connexions racinaires qui unissent les colonies de peupliers faux-trembles tels que Pando. On peut y voir entre autres, la reproduction végétative par drageon, ainsi que les connexions racinaires qui se créent entre différents individus. Ce précieux apport scientifique au projet dialogue avec les photographies de Poirier : alors que les prises de vues de Pando révèlent la dynamique et l’apparence de surface de la colonie de peupliers faux-trembles, les croquis d’excavation de DesRochers révèlent l’intimité cachée, souterraine de ces populations végétales en explicitant les liens, invisibles à la surface, qui les unissent.
Version 1 du projet : Exposition présentée au centre d'artistes Caravansérail, Rimouski, Canada. 27 janvier au 6 mars 2022.
Impressions sur papier Baryta (monté sur dibond) & bannière de polypropylène, dimensions variées.
Crédits photo : Jeffrey Poirier & Fanny Basque pour Caravansérail.
Version 2.0 du projet : Exposition au Centre d'exposition d'Amos du 26 janvier au 24 mars 2024, en collaboration avec la chercheuse Annie DesRochers de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. 
Crédit photo (version 2.0) : Christian Leduc
«Pando» - Jeffrey Poirier in collaboration with scientist Annie DesRochers (UQAT)
In September 2021, I traveled to the heart of Utah, in the Fishlake National Forest, to photograph a natural subject unique in the world. Pando, meaning "I spread" in Latin, as it was identified by its discoverer Burton V. Barnes, is considered by many scientists to be the largest and oldest living organism in the world. It is a colony of aspen (Populus tremuloides) with a surface area of 43 hectares consisting of 47,000 trees linked to a single root system that has been regenerating since the last ice age (15,000 years). This organism appears to me as a fascinating paradox because it provides distinct levels of perception that differ from our conventional points of view. A vast forest of apparently identical aspens, it is however considered by science as one and the same tree or individual plant. Beyond the limits of the visible, it extends underground through a fragile and monumental root system which constitutes the very essence of its mass and the secret to its longevity. If upon first impression it imposes itself as an overarching vision similar to that of the forest made up of multiple plant individuals, the reality of this unique organism foils our habits of looking at our environment because it alone represents the landscape.
According to studies by Utah State University, Pando's growth has been completely stopped for the last 40 years. The main cause of the organism's gradual demise is the presence of an overabundance of herbivores in the area that feed on the colony's young sprouts. In the early 1900s, the carnivorous predators responsible for the natural regulation of herbivore populations were aggressively hunted and the area is now frequented by a growing population of species such as deer. Among other causes known to scientists, climate change and forest fires would be a brake on the regeneration of the clone. The figure of this being born in time immemorial appears to me as an example of fragile balance, whose regeneration depends on ideal conditions currently disrupted. In my opinion, we have here a highlighting of the already known tensions of a precarious cohabitation between our individual and collective lifestyles and a now unbalanced environment.
The images immerse us in this natural universe that includes rocky soil on the mountainside and remnants of past generations, while trunks on the ground bear witness to the colony's former «citizens». The project offers an open window into the environment that shaped Pando and that it has shaped in return through the centuries. Growing in a unique microclimate in Utah, the aspens of Fishlake National Forest produce the most diverse woodland environment in the region. The aspen trees are designed to filter light moderately, creating an understory rich in succulents, mosses and lichens. Pando is thus an ecosystem in its own way. The images gathered here present the environment of Pando according to its contemporary features: biodiversity, human presence, signs of decline, government regeneration project. On a conceptual level, the image thus implicitly attempts to offer parallels between the rhizomatic figure of Pando and the precarious balance of our social ecosystems. The social character of Pando, which reminds the multitude within the unity that characterizes societies, is a vast system of essential and often invisible interconnections. 
For the second presentation of the Pando project, Jeffrey Poirier collaborates with Annie DesRochers, a researcher at the Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. A specialist (among other things) in tree biology and root relationships, Ms. DesRochers has been studying aspen stands for over twenty years, in order to gain insight into the root relationships that exist within tree populations. For this unprecedented collaboration, Annie DesRochers provided Jeffrey Poirier with sketches made during root excavations during the development of field research projects. Enlarged by the artist like frescoes showing every detail, these sketches provide a privileged underground view of the root connections that unite aspen colonies such as Pando. Among other things, they show vegetative reproduction by suckering, as well as the root connections created between different individuals. This valuable scientific contribution to the project dialogues with Poirier's photographs: while Pando's shots reveal the dynamics and surface appearance of the aspen colony, DesRochers' excavation sketches reveal the hidden, subterranean intimacy of these plant populations, making explicit the links, invisible on the surface, that unite them.
Version 1 : Exhibition at Caravansérail artist-run-centre, Rimouski, Canada, January 27 to March 6, 2022.
Prints on Baryta paper (mounted on Dibond), polypropylene banner, various sizes.
Photo credit : Jeffrey Poirier & Fanny Basque for Caravansérail.
Version 2.0 of the project: Exhibition at the Amos Exhibition Centre from January 26 to March 24, 2024, in collaboration with researcher Annie DesRochers of the Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Photo credit (version 2.0) : Christian Leduc
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